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Festival de Marseille

Entretien avec Diana Niepce

Propos recueillis par Rodrigo Fonseca
Umbigo magazine, avril 2022




Rodrigo Fonseca : Au début de la pièce, les figures m'ont fait penser à des acrobaties. La façon dont vous vous positionnez, vos bras qui pendent presque toujours... Cela est-il lié à des souvenirs de votre passé ?


Diana Niepce : Tout au long de la pièce, les idées de non-gravité et de tridimensionnalité sont très présentes. Il y a un voyage dans la construction du corps, un corps mort et rigide, que je construis à travers celui des danseurs. Pour construire ce corps, j'utilise des images qui ont quelque chose de sculptural. Émergent des figures de déesses, des Christs.. Ces figures créent une tension, elles reconstituent mon corps. Et, oui, de nombreuses techniques viennent du cirque/nouveau cirque, que j’aime utiliser davantage dans le domaine de la performance. Je voulais travailler sur la verticalité du corps, du corps verticalisé, du corps qui génère de la tension et qui, en même temps, est fragile. La fragilité du corps est assez poétique. Mais dans la vie quotidienne, nous ne lui laissons pas d'espace pour naître, nous n'avons pas accès aux détails... Cela se passe dans l'intimité. Anda, Diana, c'est aussi la chute, le corps qui lâche - je tombe à plusieurs reprises pendant la pièce.



R. F. : Pendant le spectacle, il y a un jeu constant de poids et contrepoids, de va et vient, entre les deux danseurs sur scène. Vous êtes toujours la roue, mais votre point d’appui change constamment.


D.N. : C'est un jeu de tension, de contrepoids, de forces opposées. Cela se déroule de manière extrêmement détaillée et millimétrée, parce que le risque est très présent. À travers mon travail, j'ai pu explorer l'extension des corps les uns dans les autres. Je travaille sur ces tensions depuis un certain temps. Même dans ma dernière pièce, cette marque était déjà présente. Les corps dans Anda, Diana ne fonctionnent pas de manière isolée et, lorsqu'ils se séparent, ils laissent le spectateur dans une situation inconfortable. Bien sûr, mon corps a le langage du passé, en tant que danseur et acrobate. Mon nouveau corps est une grande fusion de techniques. Cette pièce est également un journal intime (publié par Sistema Solar), rédigé de manière très crue, exposée, violente et sarcastique. J'ai essayé de créer une atmosphère onirique, dans son propre temps, afin que le public puisse faire l'expérience du corps en train de se construire.



R.F. : Au début de la pièce, la musique a un caractère métallique, obscur et intime. Mais lorsque vous êtes seule, debout au centre de la scène, la musique se transforme et l'atmosphère se fait plus délicate...On entend les oiseaux chanter.


D.N. : Il y a une ambiguïté récurrente dans la pièce : est-elle violente ? Est-elle poétique ? Dans le jeu entre nous trois, il y a aussi l'idée de soumission, de domination des corps... Mon corps danse finalement quand il se sépare complètement du leur. Anda, Diana explore l'image du corps dansant. La musique de cette pièce est inspirée des sons produits par un IRM. Avez-vous déjà passé un IRM ?



R.F. : Non.


D.N. : L'IRM produit un son profondément électronique (trum trum trum). On pourrait se croire en plein champ de bataille. Lorsque vous avez un accident, le premier test qu’on vous fait passer est l'IRM. Je suis partie de la façon dont le son habite cet espace, un espace pouvant être considéré comme un voyage quelque peu effrayant. Gonçalo Alegria (au son) a beaucoup travaillé avec les descriptions de ces expériences dans mon livre. Et oui, le chant des oiseaux accompagne les IRM ! Il permet de se détendre. Cette pièce est particulièrement importante pour moi du fait du remodelage de mon corps. Mais je m'intéresse également à la recomposition des autres corps : qu'est-ce que le corps qui danse ? Quelle est la hiérarchie du corps performant ? Ce sont des questions qui m'habitent depuis un certain temps. Mon corps est une métamorphose du corps dansant antérieur. Il n'est pas évident pour un danseur de savoir comment le travailler, ni de savoir comment travailler avec moi. Ils ne saisissent jamais vraiment quel est mon niveau de fragilité, la peur de tomber est omniprésente ! Je suis tétraplégique, il y a un grand niveau de risque dans ce que je fais, mais cela m'intéresse de l'explorer. Le risque nous met dans un état de contemplation qui ouvre une nouvelle perspective sur le corps.