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Festival de Marseille

Note de Benjamin Dupé

[...] La matière venant constituer le livret est d’abord issue d’un travail de collectage effectué sur le terrain, nourri de rencontres humaines, au premier rang desquelles se trouve ma collaboration avec Alain Mante, garde du Parc national des Calanques, responsable des Archipels. Alain est un passionné travaillant depuis plus de vingt ans sur les îles de Marseille, avant même la création du Parc. Il est une mine de savoir sur les îles, depuis ses connaissances ornithologiques et botaniques jusqu’à ses anecdotes historiques, qu’il s’agisse de la grande histoire ou de petites histoires. Faire parler Alain n’a pas été difficile, lorsque j’ai compris qu’il ne fallait pas l’interviewer à terre dans un bureau, mais plutôt passer du temps avec lui en mer ou sur « ses » îles – mon implication dans cette phase ayant été jusqu’à l’accompagner plusieurs fois, les nuits noires de nouvelle lune, baguer les oiseaux nichant dans les anfractuosités des falaises de Riou. Une expérience singulière, forte et inoubliable.



À côté de cette documentation orale et vivante, je rassemblai une série d’ouvrages écrits traitant des archipels de Marseille ou plus largement des petites îles de Méditerranée : ouvrages édités (Les petites îles de Méditerranée occidentale de Brigitte Marin, L’Archipel de Riou de Yves Paccalet, L’île de Riou de Bouillon-Landais…) ou documents de travail internes du Parc national des Calanques (notamment le « schéma d’interprétation », la notion d’interprétation d’un patrimoine naturel résonant fortement avec l’approche artistique que je comptais adopter).



Enfin, au gré de mes recherches, des résonances poétiques se sont manifestées avec des textes de grands auteurs, tels Ode maritime de Fernando Pessoa, le recueil Oiseaux de Saint-John Perse, la poésie de Paul Valéry… J’organisai l’ensemble de cette matière accumulée en trois thématiques, chacune pouvant se décliner et se répondre. La première traite de l’insularité au sens large. L’île, terre promise pour un public de spectateurs qui ne débarquera pas, mais la verra et l’entendra sonner, porte en elle un ensemble de significations se présentant plus ou moins consciemment à nous : lieu de ressources, qu’il s’agisse de trésor naturel ou fantasmé, base d’activité pour transformer les produits de la pêche, poste de commerce, vigie, abri de contrebandiers, lieu funéraire, espace de confinement et de relégation… Sans artifice scénique, sans machinerie ni accessoires, l’espace que représente notre scène naturelle se transformera donc dans la tête du spectateur par simple évocation.



La deuxième se centre sur l’histoire : époque des glaciations, pendant laquelle ces îles étaient des petites montagnes sur la plaine continentale, la mer se trouvant plusieurs dizaines de kilomètres plus loin, occupation néolithique par des pêcheurs, pêcherie de corail dans l’antiquité, quarantaine et sabordage du grand Saint-Antoine qui apporta la peste en Provence en 1720, établissement d’une sablière qui servit à paver les rues de Marseille au 19ème siècle, découverte récente de l’avion de Saint-Exupéry abattu en 1944… Une série de fantômes peuple les îles et leurs abords, que l’opéra convoquera par petites apparitions.



La troisième, enfin, évoque les particularités de l’écosystème de ces îles, la simple description sous forme de liste des espèces botaniques endémiques (des griffes de sorcières à l’astragale dit ”coussin de belle-mère”) ou ornithologiques revêtant déjà un caractère poétique et merveilleux. Mais c’est bien la présence des puffins, oiseaux pélagiques de la famille des albatros, connus seulement des pêcheurs, qui fait de Riou un site exceptionnel, autant dans la problématique écologique qu’elle pose (les puffins menacés sont la proie des goélands qui ont proliféré grâce à l’activité humaine) que pour la dimension mythologique qu’elle revêt (le chant des puffins, étrange et puissant, est probablement à l’origine du mythe des sirènes attirant les marins vers la catastrophe).



Loin d’une volonté d’édification du public par une transmission ”scolaire” des notions attachées à ces thématiques, l’esprit qui préside à l’agencement des thèmes et histoires est, encore une fois, celui d’une interprétation poétique et ludique des sites de Riou et du Frioul. Il s’agit de mettre en résonance, de tisser des liens plus ou moins véridiques et plus ou moins scientifiques entre les choses, de chercher l’association d’idée émouvante, au sens où elle met en mouvement le spectateur et l’amène à percevoir autrement ce qui l’entoure. [...]



Benjamin Dupé